Filmez ce que vous voyez au travers d’une fenêtre de chez vous, et racontez un souvenir important.

« Vu par », un partage de regards

 

Serge Chaumier, sociologue et muséologue, est animateur d’une formation en apprentissage sur la conception d’exposition à l’Université d’Artois (http://formation-exposition-musee.fr). Formation qui cherche à inventer avec les apprenants le monde de demain, cherchant à relier l’action culturelle aux enjeux de civilisation, ou plutôt de la décivilisation en cours.

 

La playlist de Serge Chaumier, sociologue

Sur 196 films à ce jour, qui sont autant de balades dans des paysages, très souvent urbains, la proposition de Benoît Labourdette, Par ma fenêtre, intrigue. Sorte de collection, dont il est le commissaire, qui ne peut qu’intéresser le muséologue, où chaque fenêtre ouvre sur des biographies, des vies minuscules, des envolées lyriques, des réminiscences enfantines. Patrimoine immatériel qui rend compte, mieux peut être que les collectes d’objets initiés par certains musées pour témoigner du confinement, à l’instar du Mucem, de l’esprit d’une époque, de ce qui se ressent dans l’intimité. Car sans avoir visionné toutes les propositions plusieurs choses frappent par leur récurrence. Déjà le fait que la plupart des films sont réalisés par des personnes seules, comme si seuls les célibataires s’y adonnaient. Plus vraisemblablement, le film est réalisé lorsque l’on dispose d’un moment de tranquillité, qui permet la plongée dans l’introspection. Intimité donc qui trace autant de pudeurs singulières. Comme si l’on pouvait dire à d’autres, des inconnus, par delà la fenêtre de l’écran, ce que l’on ne dit pas à ses proches. Autre forme de réseau social, puisque c’est désormais le lieu de toutes les expressions, où l’on parle de soi à d’autres, chacun rivé sur son portable. Autre forme de distanciation sociale que l’on déplore depuis la généralisation des laisses électroniques. Autre constatation, la parole omniprésente, souvent poétique et aussi légère que le temps est lourd et l’atmosphère pesante. Des descriptions de ce qui ne se passe pas, de ce qui ne se passe plus devant sa fenêtre. Un monde réduit à soi, à son champ de vision, à ses préoccupations domestiques, à l’extension de son nombril en quelque-sorte. Peu de propos sur la démocrature qui nous gouverne, sur les restrictions de liberté d’un monde où seuls les flics peuvent se déplacer sans autorisation, où les drones planent sur nos têtes, où les préfets facilitent les traitements polluants dans les champs, … pas même sur les incendies là bas à Tchernobyl, sur le sort des réfugiés ou de la guerre en Syrie… Certes Kristian Feigelson philosophe avec raison sur les prisons. Pour la grande majorité, retour sur soi, sur son balcon, atrophié par le matraquage incessant des médias appelant à rester chez nous, à nous méfier des autres, à nous isoler, à nous fragiliser, à nous soumettre. Qu’avons-nous à dire ? Fin d’un monde où l’humain luttait contre le désespoir par l’engagement. Pour cela j’ai porté ma préférence sur les films, sans parole, où le silence suffit à dire l’indicible.

PS : Merci à Noémie qui attire mon attention sur mes propos injustes ! Elle a raison, je suis injuste avec Benoît et avec les contributeurs. La plupart des vidéos respectent simplement les consignes données : filmer de sa fenêtre en toute intimité pour évoquer un souvenir personnel, donc invitant à l’introspection. C’est le cadre. Mais au fond ce qui m’énerve, c’est peut-être ça, que l’on respecte le cadre ! La fenêtre est un cadre, qui pointe sur un tout petit tout petit bout de l’univers. Or, s’échapper du cadre, transgresser les règles, remettre en cause les directives ! Et ouvrir la fenêtre sur l’ailleurs, ce que l’on ne voit pas, le hors champ, ce qui est invisible, mais pourtant qui doit nous révolter… Refuser aussi les injonctions psy à se tourner vers soi, vers son petit moi pour embrasser l’ailleurs... (oui embrasser, à l’heure où ce mot devient le mot effrayant ! La panique !) Oserons-nous demain encore embrasser le monde ?

Serge Chaumier, 30 avril 2020.

De ma fenêtre

On ne vit pas tous dans le même monde.

Musique : Sébastien Blanchon.

Dans le cadre du projet Valence scénario un film de Rabah Brahimi | Épinay-sur-Seine | le 26 avril 2020