Filmez ce que vous voyez au travers d’une fenêtre de chez vous, et racontez un souvenir important.
« Vu par », un partage de regards
 
Marie-Noëlle Clément s’est passionnée pour le cinéma et la photographie avant de s’orienter vers la psychiatrie. Elle dirige aujourd’hui à Paris un hôpital de jour accueillant des enfants autistes, et travaille notamment avec des médiations artistiques (danse, arts plastiques, médiations numériques, théâtre…).
Elle a également été commissaire de l’exposition « Le Flou en photographie », avec Serge Tisseron, aux 30es Rencontres Internationales de la Photographie à Arles.
Engagée dans le secteur associatif, elle est membre fondateur de l’Association « Trois Six Neuf Douze », dont l’objet est de promouvoir une information éclairée sur les relations des enfants aux écrans, et elle fait partie du Conseil d’administration de l’Association « Enfance au cinéma ».
Elle est l’auteure de « Comment te dire ? Savoir parler aux tout-petits » (réed. Pocket 2018).
 
La playlist de Marie-Noëlle Clément, psychiatre et psychothérapeute
Au cœur de ma nuit confinée d’avril 2020, j’ai regardé vos fenêtres s’ouvrir. Puis j’ai glissé un casque sur mes oreilles, et souvent j’ai fermé les yeux. J’ai laissé vos voix me happer.
Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours été sensible à la voix et à l’atmosphère sonore. Le son de la radio à la table du petit déjeuner, avant de partir pour l’école. La voix de Barbara ou celle de Léo Ferré, qui tournaient si souvent sur la platine des parents. Le son d’un rideau de perles de verre qui cliquetait contre la fenêtre de la chambre que j’occupais, chez mes grands-parents, dans les Cévennes. Le chant assourdissant des cigales dans la chaleur des étés du Sud. Le violoncelle que je jouais, vibration si proche de la voix humaine. Les bande son des films de la Nouvelle Vague. La voix de Sami Frey, et celle de Fanny Ardant, et celle de Delphine Seyrig, et celle de Michaël Lonsdale.
Aujourd’hui, dans mon métier, j’écoute. Il n’y a pas de hasard.
Les films que j’ai choisis sont ceux dont les voix m’ont attrapée pour ne plus me lâcher. Par leur authenticité, leur poésie, par l’univers qu’elles convoquent, mais aussi par leur timbre, leur tessiture, leur vibration, le rythme de leur phrasé.
« Grand-mère » s’ouvre bruyamment : Léa Veillerobe tire le store de sa chambre, celui que sa mère ouvrait le matin quand c’était l’heure de l’école, et fermait le soir quand c’était l’heure de dormir. Le paysage est étale mais l’émotion monte, jusqu’à la très belle image finale. Celle d’une famille recomposée par-delà la mort.
Dans « Mai 1981 », Noémie convoque ses souvenirs. Ceux qui prennent place dans l’encadrement d’une fenêtre. Un certain 8 mai 1981, elle a 8 ans. Le 10 avril 1991, elle a 18 ans. La fenêtre est un passage, vers la joie ou le malheur, c’est selon. J’ai pensé à « Rien ne s’oppose à la nuit » de Delphine de Vigan, belle voix littéraire.
« Mes trois fenêtres » s’ouvrent sur trois points cardinaux, mais surtout à l’Est ! En direction du chemin parcouru par Matthieu Haag sur les traces de sa grand-mère, en Slovaquie. Près de 3000 kilomètres, à pied, en stop, muni d’un enregistreur et de deux petits micro-cravates. Des voix qui parlent toutes les langues.
« Le Voleur d’étoile » nous invite dans la maison familiale de Clément Serrano. Voyage dans le temps : les souvenirs reprennent vie avec une grâce infinie et une sourde mélancolie.
Derrière le rideau chamarré de "Ce champ de fleurs rouge cyan, Bruno Bouchard s’adresse à la petite route qui file sous sa fenêtre. Il lui parle et la rassure comme il aurait peut-être envie d’être rassuré. Car nous avons tous envie d’être rassurés en ce moment, n’est-ce pas ? Il lui dit qu’elle n’est pas seule la petite route, que les voyages reprendront, c’est sûr, qu’elle sera à nouveau parcourue des rêves et des espoirs de ceux qui l’emprunteront, et qui gagneront peut-être… l’Eldorado !
Nous y voilà. Qu’elle est belle la façade de l’« Eldorado » de Juliette Kempf ! C’est sûr qu’elle invite au rêve : imaginer ce qu’il y a derrière ses murs, ce que l’on désirerait y trouver, ce qui s’y trouve peut-être ou ce qui n’existe plus. Imaginer des vies, des fastes, des luxes, des futurs, des possibles.
J’ai souri en écoutant Julien Farrugia raconter l’histoire des « Expressos » partagés avec des hôtes inopportuns. La relation humaine est décidément pleine de surprises, et sa beauté se niche là où ne l’attendait pas forcément !
Enfin je me suis laissée bercer par le rythme du phrasé de Manon Jorry, elle qui me dit qu’« On se souviendra ». Ce rythme qui ondule et qui court, comme un train qui vous emporte. Le long de la vie, marche forcée et chemins de traverse.
Oui, on se souviendra de ce printemps 2020, de ces fenêtres qui se sont fermées, et de toutes celles que nous avons envie d’ouvrir.
Marie-Noëlle Clément, 6 mai 2020.
Le voleur d’étoile
Enquête à huis-clos dans un passé compassé.